Écrivain raté, Hirosuke Hitomi est avant tout un songe-creux de première force.

 

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Ayant appris le décès du riche héritier Komoda, dont il est le sosie parfait, il usurpe habilement son identité de manière à s’emparer de sa fortune et entreprend, sur une île déserte au large du Japon, la réalisation de l’œuvre d’art totale dont il a si longtemps nourri l’idée. Mais un dernier obstacle se dresse sur sa route : la jeune et belle épouse de Komoda, d’autant plus dangereuse pour lui qu’il se prend à l’aimer…

De ce mince roman dont il avouait lui-même qu’il était « presque dénué d’intrigue », Ranpo Edogawa a fait la pierre de touche de toute son œuvre, emblématique de l’ère Taishō (1912-1926), ces « années folles » japonaises qui virent le pays s’ancrer dans la modernité après le choc formidable de la Restauration de Meiji et avant de sombrer dans le militarisme fascisant qui devait mener à la catastrophe que l’on sait. Grand admirateur d’Edgar Allan Poe (jusqu’à adopter un pseudonyme reproduisant au plus près la prononciation japonaise du nom de son idole) Edogawa Ranpo, à l’image de son mentor, évolue sur les frontières indécises du fantastique et du policier. Il mise sur une forme de rationalité « dépassée », si l’on peut dire, où la logique, portée à son paroxysme le plus obsessionnel, ne se refuse plus rien en termes de délires et d’excès, parfois jusqu’au kitsch. Teintés d’un érotisme volontiers macabre, ses romans et ses nouvelles devaient influencer durablement l’imaginaire littéraire et cinématographique japonais, suscitant naturellement nombre d’adaptations.

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Classique des classiques, L’île panorama ne pouvait que susciter l’intérêt des mangakas par son atmosphère malsaine et l’exubérance vénéneuse de ses décors. Si l’adaptation de Kazuo Kamimura reste relativement attendue et fidèle aux codes du gekiga, c’est évidemment celle de Suehiro Maruo, d’une tout autre ambition, qui emporte la palme. Maître de l’ero-guro – ce genre particulier mêlant l’érotisme au grotesque – Maruo parvient à rester parfaitement fidèle à l’original tout en l’assimilant jusqu’au moindre détail à son propre univers, placé sous l’égide charbonneuse de Sade et de Bataille et nourri de références innombrables aux cultures tant occidentale que japonaise. Ce texte semblait n’attendre que lui ; ce n’est pourtant qu’en 2008 qu’il s’y attelle, au faîte de sa carrière et en parfaite possession de son style, dont l’élégance glacée vient sublimer l’inquiétante étrangeté du roman d’Edogawa tout en en soulignant l’érotisme implicite. Né d’un délire solitaire, le « parc d’attractions » voulu par Hitomi / Komoda trouve sous la plume acérée de Maruo toute sa démesure fantasmagorique, entre illusions d’optiques et orgies revisitées de l’Antiquité. Le trivial s’y frotte à la Beauté sans égards pour sa peau satinée, avec un plaisir manifeste de la part d’un dessinateur dont le goût pour l’« impur » n’est un secret pour personne depuis Le Monstre au teint de rose ou La Jeune fille aux camélias. Si les adaptations littéraires en bande dessinée sont en général décevantes, on est certainement là devant la fameuse exception qui confirme la règle et un exemple rare d’osmose entre deux auteurs à presque un siècle de distance.

Yann Fastier