Alors que le genre humain s’apprête une nouvelle fois à s’autodétruire en un joyeux feu d’artifice, de gigantesques vaisseaux spatiaux font leur apparition au-dessus des principales métropoles de la planète et mettent tout le monde d’accord.
S’achemine-t-on vers une n-ième version de la guerre des mondes, donnant à de courageux résistants l’occasion de faire leurs preuves ? Même pas : car les tout-puissants envahisseurs n’envahissent rien, ne colonisent rien, n’exploitent rien, ne se montrent même pas – crainte d’effrayer leurs turbulents sujets. Que veulent-ils, sinon protéger l’humanité d’elle-même ? Et dans quel but ?
Qui lit encore Arthur C. Clarke ? Pas grand-monde, sans doute, tant le scénariste de 2001, l’odyssée de l’espace semble aujourd’hui le parangon d’une science-fiction à la papa, technologiste et infiniment confiante dans les capacités de la science à nous faire aller vers le mieux. Or – l’actualité en apporte chaque jour la preuve – l’heure n’est pas à l’optimisme : quand elle n’est pas battue en brèche par la bêtise triomphante et les superstitions, la science se met obligeamment au service de technologies plus asservissantes que libératrices dans une course en avant dont le terme contondant se rapproche de manière inexorable. La SF en prend acte, qui ne s’épanouit plus guère que dans un post-apocalyptique plus ou moins dystopique ou dans des régressions à la Star Wars qui sont autant de façons de se voiler la face. Faut-il toutefois se montrer si catégorique ? Car dans une œuvre dont on aurait beau jeu, aujourd’hui, de dénoncer la naïveté, Les enfants d’Icare (1953) occupe une place particulière, où s’exacerbe une thématique récurrente chez l’auteur anglais : celui du coup de pouce nécessaire à l’évolution de l’Homme, cet éternel bébé. Ce thème, qu’on retrouve évidemment dans les mystérieux monolithes noirs de 2001, mais aussi et surtout dans Rendez-vous avec Râma (1973), prend ici une couleur mélancolique assez inhabituelle chez Clarke, mais qui désigne infailliblement la meilleure science-fiction, de Bradbury aux Strougatski. Passé les inévitables anachronismes propres à la SF des années 50, où, même dans le futur le plus lointain, bobonne s’obstine à tenir le ménage et tout le monde à parler anglais, Les enfants d’Icare s’ouvre sur des gouffres métaphysiques qui vous mettent l’âme à rude épreuve et pourraient – sans rien gâcher – se résumer ainsi : pour s’accomplir, l’humanité doit-elle disparaître, et tout le reste avec ?
Vous avez deux heures.
Yann Fastier