On se croyait trop vieux, revenu de tout, condamné à remâcher d’une molaire rendue prudente la ragougnasse habituelle des littératures respectables, et voilà qu’une bien nommée Marie-Jeanne vous offre une nouvelle jeunesse en même pas 100 pages.

 

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Bien nommée car hallucinogène, assurément, et propre à vous reconfigurer les neurones avec l’élégante désinvolture d’un Boris Vian revenu d’entre les macchabées, la nationalité suisse en plus. Concluant une trilogie amorcée avec La Terre tremblante (2018) et poursuivie avec K comme Almanach (2022), Marie-Jeanne Urech convoque une mère et ses deux garçons – l’aîné et le cadet – à la poursuite, sinon du bonheur, du moins d’un frigo. Parce qu’un frigo « c’est la base (…) du progrès, de l’hygiène, de la mémoire », même dans l’univers en pleine déréliction d’une ville qui s’autodétruit, où tout se troque ou se vole avant de finir dans la grande fosse avec les morts et « tout ce qui ne servait plus ». Un tel argument est évidemment loin d’épuiser cette allègre folie douce qui, en une succession de courtes séquences entrecoupées de dialogues ciselés au coupe-ongle, bricole la langue sur un rythme de valse obstinément ternaire : guère d’adjectif qui ne soit appuyé de deux autres, guère d’incidente qui ne vole en triangle au-dessus de la phrase, où le néologisme, en outre, abonde (« Mais vivre dans du beau, ça devait quand même vous éléganter de l’intérieur. ») Leur Grandeur amputée relève-t-il du genre post-apocalyptique ? Sans doute, mais à sa manière : sans zombies ni machettes mais avec tambours et trompettes, puisqu’ils auront leur importance. Sans préjuger du reste de son œuvre – qu’on se promet bien de lire tout entière avant de mourir, et même après si nécessaire – Marie-Jeanne Urech navigue ici avec une joie communicative dans les mêmes eaux irisées de gazole que Manuela Draeger, avant d’accoster les rives hérissées d’herbes folles des BD de Lucas Méthé (Papa, Maman, Fiston, etc.) C’est peu dire, mais c’est tout dire.

Yann Fastier