Doll English est un petit gars du Comté Mayo.
Pas un mauvais bougre, juste un peu en manque de repères, juste un peu trop fêtard. Il est le fils cadet de Sheila, qui l’a élevé seule et espère ne pas reproduire les erreurs qu’elle a faites avec Cillian, son aîné. Ce dernier a quitté la maison. Son trafic de stupéfiants s’est avéré juteux jusqu’à cette dette auprès de mauvaises personnes qu’il ne peut honorer. Doll tente bien de se tenir à distance de ce frère délinquant, mais l’amour qu’il lui porte demeure immense, tout comme la fascination qu’il exerce sur son cœur tendre de lycéen.
Quand il se fait brutalement kidnapper en pleine rue, à la suite d’une soirée où en plus il vient de s’engueuler avec Nicky, son amoureuse, il comprend tout de suite qu’il va servir de monnaie d’échange entre les dangereux barons de la drogue du coin et le fric que va devoir trouver Cillian pour le libérer. Aimer son frère, c’est une chose. Compter sur lui en est une autre. Enfermé au sous-sol d’une maison isolée, chez Dev, un gentil pauvre type qui s’est fait embrigader dans l’histoire malgré lui, Doll obéit aux injonctions de ses ravisseurs sans pouvoir faire autrement.
Dans ce huis clos saisissant, les personnages et leurs pensées prennent toute leur ampleur. Le temps s’est arrêté pour Doll. Les journées s’écoulent au rythme des repas préparés par son hôte et les visites des deux pieds nickelés qui le maintiennent prisonnier. Sans lien avec l’extérieur, l’ennui s’installe. Et dispenser l’ennui sans l’infliger à ses lecteurs, voilà une gageure dont peut se féliciter Colin Barrett. A l’aide des dialogues entre les différents protagonistes, avec les descriptions des menus, des films qu’ils visionnent ensemble, l’auteur parvient à dresser des portraits d’une grande finesse psychologique, ainsi qu’une peinture quasi naturaliste de leurs milieux et des conséquences de la pauvreté sur des esprits fragiles. Dans cette partie de l’Irlande, la violence est aussi sociologique que physique et le jeune Doll fait les frais du manque d’éducation, d’espoir et d’opportunités de Gabe et Sketch Ferdia, ses bourreaux.
Sans misérabilisme, Fils prodigues est une merveille dans la façon de montrer comment se façonnent les relations entre les êtres. Sans descriptions inutiles, Barrett fait ressentir, en nous plongeant dans la psyché de Doll et Dev, plus qu’il n’explique. Et de cette absence de pédagogie indigeste naît la grâce. Dans des détails minuscules. Un petit chien qui monte sur des genoux. Des regards. Une affinité naissante entre deux hommes que tout sépare. La beauté de gestes infimes. La promesse d’une humanité.
Marianne Peyronnet