« Elle me permit de m’étendre auprès d’elle. Mais elle refusa que je la touche, et elle n’avait pas envie de parler. Nous avions assez parlé je suppose ».
Charles Anderson, cardiologue de renom, est allongé auprès de sa femme, à laquelle il vient d’administrer une dose létale de poison, ceci afin de lui permettre d’échapper, dans la dignité, à la maladie incurable qui la ronge.
Vient le temps du deuil et des souvenirs, reviennent les bons moments et les saletés qu’il fallut affronter seul ou à deux, les renoncements... Et comment continuer maintenant ? Comment faire face à la colère du fils, qui n’a pas été prévenu du « suicide », à la demande de sa mère, et qui en veut à mort à son père ? Rien ne va plus, et Charles Anderson finit par prendre un congé indéterminé de ce travail de cardiologue auquel il a consacré sa vie, au point de ruiner son couple, et dans lequel il croyait pouvoir s’épuiser assez pour pouvoir tenir la mort à distance. Il faut maintenant remplir cette vacuité dans laquelle il dérive, et, lors d’une conférence, la rencontre avec celui qui monte une opération humanitaire pour secourir les victimes d’un terrible séisme dans les montagnes (le pays ne sera jamais nommé) va être un déclic suffisant. Charles convaincu décide de partir.
« Le groupe minuscule des tentes sur ce champ de pierres battu par les vents, l’altitude, les chaînes de montagnes, le ciel au-dessus de nous et la conscience de me trouver aussi loin qu’il était possible de tout ce que je connaissais » ... C’est un camp de base dans la montagne, ils seront deux, lui et une jeune chercheuse, Élise, qui doit conduire une étude génétique de ces populations isolées. Ils seront « aidés » par Sanjit Raï, un officier délégué par le gouvernement de ce pays, que l’on devine assez éloigné de la démocratie, et qui leur fournira la main d’œuvre nécessaire pour l’installation et le fonctionnement du camp, puisée dans les villages proches. Alors on s’organise, on installe le matériel : les villageois dont les maisons ont été détruites doivent descendre des montagnes pour survivre à l’hiver, et les soins et la nourriture ici délivrés seront déterminants pour qu’ils puissent survivre à la longue marche qui les attend. Commence l’attente, et très vite Charles réalise que la suite de l’équipement n’arrive pas, pas plus que les réfugiés ne descendent de la montagne. Interrogé, Sanjit Raï l’officier temporise, il semble ne pas savoir grand-chose, il essaie de présenter son pays sous son meilleur jour. Un dialogue s’instaure, et l’officier soupçonneux et austère s’avère être bien plus sensible et intègre qu’il ne le laissait paraître. Et puis l’attente favorise un rapprochement avec la jeune Élise, dont Charles, veuf cinquantenaire honteux de la différence d’âge, essaie de se défendre mollement.
Rien ne se passe comme prévu, alors on essaie de porter secours aux villageois les plus proches, un ersatz de dispensaire est installé, on soigne une jeune fille gravement malade, mais ses parents se servent d’elle pour soutirer de l’argent à Charles, et cet afflux soudain de soins fait basculer le village entier dans la vénalité. C’est le moment que choisit le chef du gouvernement militaire pour visiter le camp, l’utiliser comme base pour une action de guérilla contre les rebelles, et faire un bain de sang. Alors que Sanjit Raî, qui connait le pays, essaie de prévenir Charles et de le protéger de sa dangereuse naïveté, chaque action de celui-ci pour amener un peu de bonté dans ce monde corrompu, et pour noyer un peu l’énorme culpabilité qui le ronge, prend des proportions énormes et se solde par une catastrophe. Toute l’entreprise s’enfonce dans ce gâchis qui fait de toute opération humanitaire une bataille perdue d’avance contre la désolation, il faudra repartir, sans rien, semblables à ces dépossédés que l’on prétendait pouvoir secourir, et le monde, qu’on aurait aimé faire bouger légèrement de son axe, va tranquillement reprendre sa place initiale.
Une histoire universelle de chevalier et de moulins.
Lionel Bussiére