Née à Rome le 13 juin 1914, et morte à Rapallo, près de Gênes, le 9 mars 1998,
Anna Maria Ortese, parfois célébrée comme la plus grande romancière italienne après Elsa Morante, a eu tout au long de sa vie une destinée aussi singulière que celle d’un personnage de roman. Oubliée, puis redécouverte, couronnée d’un éclatant succès critique puis retombant dans un total anonymat, Anna Maria changera 36 fois de lieu de résidence, dans 16 villes différentes, au cours de ses 84 années d’existence, fuyant la pauvreté, mendiant sans cesse des articles aux journaux et aux amis pour pouvoir manger, tenir un peu plus longtemps, sa correspondance est truffée de ces humbles demandes de générosité. Venue du sud de l’Italie, région pauvre et méprisée, dernière d’une fratrie de cinq enfants, elle découvrira à Naples, dans la pièce unique que partage la famille, des œuvres qui la marqueront à jamais : Poe, Katherine Mansfield, les romantiques anglais. C’est la mort de son jeune frère, en 1933, qui la poussera à réaliser son désir décrire. Exilée intérieure à cause des persistantes difficultés matérielles qui la contraignirent, toute sa vie, à nomadiser autour d’un manque fondamental, elle ne cessera d’osciller entre l’essentielle noirceur du monde et la tentation du merveilleux. « Le moment capital de ce parcours sera L’Iguane, qui paraîtra une première fois en 1965 et sera réédité au milieu des années 80 : incontestablement le chef-d’œuvre d’un auteur certes inégal, mais dont les plus grandes réussites sont des œuvres majeures de la littérature italienne du 20ème siècle. »
Publiés en 2010, à titre posthume, à l’initiative des éditions Adelphi en Italie, les 27 feuillets dactylographiés de Mistero Doloroso, retrouvés dans la dernière maison d’Anna Maria Ortese racontent la rencontre et l’amour naissant entre un jeune prince et une jeune fille pauvre, dans la ville de Naples, au 18ème siècle, évoquant le mystère de l’éveil à la sensualité d’une jeune fille, et, d’émois en rendez-vous manqués, par petite touches délicates, le douloureux questionnement de l’adolescence. Il annonce La douleur du chardonneret, roman allégorique prenant une nouvelle fois pour sujet et décor la ville de Naples, qui devint dès sa parution en 1993 un succès de librairie, et reçu en France le prix du meilleur livre étranger, et il pourra faire une très correcte porte d’entrée dans l’œuvre fascinante de cette autrice protéiforme.
Lionel Bussiére