La vie d’une corneille, de la naissance à la vieillesse.

 

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Après Maurice Genevoix, Jack London ou Louis Pergaud, après le magnifique Bambi de Felix Salten et avant le non moins beau Rousse de Denis Infante, le Belge André-Marcel Adamek (1946-2011) ne fut ni le premier ni le dernier à endosser une peau de bête pour tenter l’impossible : nous faire vivre de l’intérieur ce que peut être une vie animale, avec ses perceptions propres et sa propre conscience du monde. Intenable gageure, bien entendu, tant la réflexivité propre à notre espèce et, surtout, le langage, nous maintiennent à l’écart de notre propre animalité, exilés dans une humanité dont le fardeau nous accable parfois. Bien sûr, nous n’en sommes plus à essentialiser l’humanité dans une condition radicalement séparée par l’élection d’un Dieu qui nous ferait « à son image ». Nous savons bien, désormais, qu’entre « eux » et « nous », il n’est que des différences somme toute infimes et que les plus proches de nous parmi les animaux ont une sensibilité, une conscience d’eux-mêmes qui se rapprochent de la nôtre et devrait nous mettre à même de mieux les comprendre. Voir, sentir par les yeux et les sens d’un de nos « frères farouches » reste cependant un horizon indépassable de notre littérature vouée, par définition, à manier des symboles. Aucune langue, de quelque manière qu’on la triture, ne saura jamais rendre compte d’une conscience animale et les efforts en ce sens (Rousse, à nouveau, ou bien l’étonnant Les animaux de ce pays, de Laura Jean McKay) restent à jamais de louables métaphores. Adamek, aussi bien, connaît les richesses et les limites de son moyen d’expression et ne s’embarrasse pas de vérisme dans la restitution : son corbaque s’exprime pour nous comme tout un chacun – voire un peu mieux – et ça passe crème. Il ne s’agit, après tout, ni de nous instruire de la vie des oiseaux, ni de nous mettre en immersion dans un crâne de piaf mais peut-être bien, encore et toujours, de tendre un miroir à notre humanité, à ce qui fait de nous la plus tragique et la plus inconstante des bestioles, capable de toutes les tendresses comme de toutes les vilenies. Rien de mieux pour cela qu’un œil neuf, et capable de prendre de la hauteur : écrivain aujourd’hui trop oublié, à la tête d’une œuvre à la fois diverse et fantasque, Adamek écrit ici d’une plume noire ce qui reste peut-être son roman le plus simple et le plus beau, traversé en son milieu par ces quelques mots, comme un trait de lumière : « Cette certitude avait fini par s’ancrer dans ma tête d’oiseau : une chose n’existe vraiment que si son nom la porte et survit à son absence, sinon, elle n’est qu’une vision fragile que la multiplicité bientôt désincarne. J’avais été ce reflet furtif à la surface du fleuve, cette croix d’ombre glissant sur les blés d’or ou barrant le ciel de son vol obstiné. J’avais été plaisir et douleur, soumission et colère et maintenant je m’appelais corneille. Ce simple mot semblait contenir toute ma vie. »

Yann Fastier