Dans un entrepôt désaffecté d’Edimbourg, la police retrouve le corps sans vie de Ritchie Gulliver, député ultra-conservateur, raciste, corrompu.
Il n’y a pas que la vie qui lui a été retirée, mais aussi tout l’appareil génital. Aux vues du passé chargé de l’élu, les suspects s’avèrent nombreux qui auraient eu envie de s’acharner sur ses parties intimes. Ray Lennox, enquêteur au sein de la brigade des crimes graves, est chargé des investigations. Les indices l’amènent à sillonner en tous sens les rues de la capitale écossaise. Les secrets sordides se succèdent, émanant aussi bien des banlieues huppées que des quartiers glauques. Ray tente d’accumuler les preuves contre un mystérieux vengeur tandis que les détails de l’enquête le replongent dans les souvenirs traumatisants d’une agression subie dans son enfance et menacent de le faire replonger dans ses addictions.
Pour cette deuxième immersion dans l’univers du polar après Crime, Welsh retrouve Ray Lennox, son flic au grand cœur, au langage fleuri, en lutte contre ses propres démons et toutes les formes d’injustices touchant les démunis, les faibles et surtout les enfants. Ray fonce, quitte à braquer sa hiérarchie. Tous les moyens sont bons, et Welsh ne lésine pas sur les descriptions réalistes et crades, pour mettre les salopards hors d’état de nuire, d’autant qu’ici sont visés les nantis, dont les soutiens dans les plus hautes sphères semblent sans limite, comme le sont leurs actes dégueulasses. Ray se fait le porte-parole du peuple contre les élites : « il en sait assez sur les riches pour comprendre qu’à leurs yeux, leurs actions même les plus malhonnêtes ne passent quasiment jamais pour des délits, encore moins pour des crimes. Tous mènent une existence compartimentée. Dans leurs écoles privées, leurs universités de renom, leurs demeures familiales, leurs destinations de vacances. Ils sont conditionnés à croire qu’ils vivent et évoluent au sein d’institutions fermées et méconnues, où leurs occupations relèvent de leur vie privée la plus stricte et ne regardent en rien le reste de la société. »
Au fil du récit, pédophiles, sadiques, bourreaux semblent de plus en plus intouchables et Ray de plus en plus désabusé : « Les plus gros dégénérés sont au sommet du pouvoir et on ne peut pas atteindre ces sous-merdes. » La lecture se fait en apnée, au rythme d’une enquête sans temps mort, où grandit notre hargne. Au Royaume-Uni comme ailleurs, ont été exposées de nombreuses affaires impliquant des personnalités ayant bénéficié d’une franche impunité pendant des années, à l’instar du scandale qui a touché Jimmy Savile, l’animateur de Top of the Pops, finalement condamné pour viols sur enfants. Ray se fait, dans Les longs couteaux, l’écho de l’indignation populaire et du dégoût qui ont agité la société britannique suite à de telles révélations.
Le propos pourrait s’avérer manichéen. Welsh évite de sombrer dans une trop grande simplicité, une mièvrerie dégoulinante, grâce à son personnage. Les failles de Ray, ses faiblesses et sa sensibilité en font un être attachant dont on suit avec plaisir l’évolution au cours des deux romans. Avec sérieux, pour une histoire grave, l’auteur s’éloigne de ses héros fétiches, les Renton, Begbie ou Spud, dont on aime tant les frasques, pour une parenthèse dans son œuvre, un passage réussi dans le roman social noir.
Marianne Peyronnet