Si je vous dis que dans ce pays des femmes dansent à l’aube, dans le matin glacial, pour encourager les travailleurs en agitant des morceaux de tissus aux couleurs du parti.

 

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Que des hommes sont postés tout au long de la route, sur 50 kilomètres, et balaient la neige qui tombe et retombe sans cesse, que les bus sont bondés mais les rues dépourvues de voitures parce que les gens n’ont pas le droit de conduire, où croyez-vous que Martin Le Roux a passé ses vacances ? Si j’ajoute que le breton de 22 ans a visité un mausolée où gisent les cadavres de deux Kim, ou un musée construit autour de trains dans lesquels les vénérés chefs ont voyagé, que l’on évolue ici en l’an 108, avez-vous besoin de plus d’indices ? Si le sous-titre de ce récit de voyage est Retour de Corée du nord, vous n’êtes plus surpris. Et pourtant ce bref récit d’un séjour dans la dictature la plus fermée de l’univers a de quoi déconcerter, même si nous n’en apprendrons pas beaucoup plus que les sempiternelles images d’un peuple exécutant des chorégraphies colorées lors des défilés militaires. L’enfer est dans les détails cependant.

 A travers ce journal de bord, Martin Le Roux parvient surtout à nous faire sentir la parano, l’angoisse qui ne les ont quittés, lui et son ami Pol, que durant le sommeil. Accompagnés de deux guides zélés, les Français n’ont évidemment pas le droit de s’écarter du chemin, c’est-à-dire du planning établi avant leur arrivée. Visites de monuments gigantesques, patriotiques, effrayants s’enchaînent, et les Kim des trois générations veillent. Statues, mosaïques, affiches, quand ce n’est pas leur bonne parole qui est diffusée 24h/24 par haut-parleurs, sont partout, et il est de bon ton de s’incliner face à leur grandeur. Certaines photos sont obligatoires tandis que toutes les autres sont interdites. Aucun contact avec la population, constituée de piétons à la marche rapide, en route vers quelque chose à faire. Les hôtels où ils dorment logent plus de membres du personnel, qui surgissent dans leur dos tels des fantômes, que de clients, de même que dans les palais, les musées… Les places sont immenses et vides, seules les croix dessinées au sol témoignent des parades populaires qui s’y déroulent, permettant à chacun de savoir où poser le pied. Le froid, le silence règnent. Aucun bruit, aucune lueur la nuit même dans la capitale. De quoi foutre la trouille et cette peur ne se tait jamais. L’histoire de Otto Warmbier, ce jeune américain condamné à quinze ans de travaux forcés pour avoir volé une affiche, décédé en 2017 à son retour aux USA après un coma, les hante. Tout est grave ici, même les règles qu’on ne connaît pas. Le Juche, cette doctrine créée par Kim Il Sung, le grand-père, est régie par des préceptes, hérités du communisme le plus dur, qui feraient frémir les personnages de 1984. L’individu n’existe pas, il œuvre au service de la patrie, se fond dans l’idéal révolutionnaire. Les sentiments personnels ne sont que pertes de temps, alors ceux des Occidentaux… Leurs pas sont scrutés, leurs paroles décortiquées, à tel point qu’ils n’osent même pas échanger leurs points de vue quand ils se retrouvent seuls.  On les isole des masses. On les nourrit de dîners fastueux. On leur montre la magnificence coréenne.

Quand ils seront rentrés en France, Martin et Pol mettront plusieurs jours à s’échapper de cette emprise, étonnés de se retrouver comme la tête vidée après seulement quelques jours de ce régime, comme endoctrinés sous l’effet de l’angoisse terrassante d’un faux pas. Personne ne sait pourquoi les touristes, même peu nombreux, sont autorisés à se rendre en Corée du nord. Kim Jong Un les croit-il assez naïfs pour s’émerveiller de ce cirque, comme le furent en leur temps certains défenseurs du communisme visitant des villages témoins ? S’amuse-t-il de leur peur de ne pouvoir rentrer chez eux ? Les nord-Coréens sont-ils aussi heureux qu’ils le prétendent ? Autant de questions auxquelles Martin Le Roux ne pourra répondre.

Marianne Peyronnet