Elisabeth a 24 ans et vit dans une petite ville de RDA.

 

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Elle travaille dans une usine de soudure d’aciers importés de l’ouest. Afin de « favoriser l’éclosion d’une culture ouvrière », elle y dirige des ateliers de peinture dans lesquels les travailleurs réalisent des toiles exprimant leur gratitude envers l’Etat, leur amour du labeur dans un style réaliste des plus communistes. Biberonnée depuis sa plus tendre enfance aux discours encensant leur belle République, elle croit à l’idéal qu’elle contribue à bâtir, pour le bien de tous. Si tout n’est pas encore parfait, l’utopie est bien en train de se consolider, il suffit de se retrousser les manches, de ne pas se laisser aller au découragement.

L’action se déroule en 1961 et, si Berlin est bien déjà divisée en différentes zones, le mur séparant l’est et l’ouest n’est pas encore construit. C’est dans ce contexte qu’Elisabeth apprend que son frère Uli, son aîné d’un an, qu’elle aime par-dessus tout, a décidé de s’enfuir. L’idée de perdre à jamais son allié de toujours bouleverse la jeune femme. Pourquoi Uli est-il si enragé contre sa patrie nourricière, qui lui a permis de devenir ingénieur, au point de tout quitter ? Comment peut-il envisager de devenir un traître à sa patrie, tout comme Konrad, cet autre frère qu’elle a banni de ses pensées ? Tout ça dans l’idée de devenir un porc bourgeois capitaliste dans cet autre monde, à l’Ouest ? Doit-elle le dénoncer ? Durant les deux jours qui précédent son projet d’exil, elle va tenter de le raisonner.

Publié pour la première fois en 1963 en RDA, Une fratrie, malgré les nombreux caviardages imposés par la Stasi, eut un grand retentissement dans toute l’Allemagne. Ecrit en 1961, il retrace cette époque avec une formidable sincérité et délivre un témoignage de première main sur ce sujet jusqu’alors tabou, celui de l’exil des intellectuels vers l’ouest, avant que les autorités ne tentent de les en empêcher en érigeant un mur censé infranchissable. Se faisant écho aux débats à l’intérieur des familles, retraçant le parcours des candidats au départ, les risques encourus, le roman a connu une deuxième vie quand le manuscrit original a été miraculeusement retrouvé en 2021 et publié à nouveau dans son intégralité.

Brigitte Reimann invente un double littéraire avec cette Elisabeth si proche d’elle-même et se permet l’audace de parler de sujets interdits – la fuite, le désespoir des jeunes, la mainmise du Parti sur les meilleurs emplois, les meilleurs logements, l’omniprésence de la Stasi dans la vie quotidienne, l’absurdité de la machinerie d’Etat, les pénuries, la paperasserie, la peur de ne pas penser correctement et de finir en prison. Elle y ajoute avec finesse les considérations intimes d’une jeune femme dans cette période trouble, souligne ses doutes et ses espoirs, pour finalement livrer un document passionnant sur l’histoire d’une famille allemande, ballottée de guerre en autocratie, sous la férule des nazis puis des communistes.

Marianne Peyronnet