Ouvrir un livre de Panaït Istrati, quel qu’il soit, c’est recevoir en pleine poire et sans délai une bonne grosse bouffée d’humanité.

 

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De cette humanité chaude, fraternelle et fleurant l’ail dont l’actualité nous fait désespérer chaque jour un peu plus avec la tenace application du laminoir consciencieux. On croyait tous les connaître, on croyait les avoir tous lus et, miracle ! il en restait !

Des petits, certes, d’adventices, mais d’inconnus tout de même à notre bataillon personnel, que les éditions Plein chant, avec la complicité de l’Association des Amis de Panaït Istrati, ont eu la bonne idée – non seulement de rééditer – mais également de faire illustrer par Golo, auteur d’une copieuse biographie dessinée du Roumain dont rendions compte naguère ici-même.

Nourrie par l’autobiographie bien qu’en totalité tournée vers l’Autre, l’œuvre d’Istrati (1884-1935) forme une pelote emmêlée de récits qui s’entrecroisent, se répondent et se nouent. Tel protagoniste, à peine aperçu au détour d’une histoire, est ainsi susceptible de devenir le héros de la suivante, emporté par l’enthousiasme d’un conteur intarissable, amoureux de ses personnages. Ainsi, les textes composant ce mince volume appartiennent-ils tous deux à la période alexandrine de l’auteur qui, dans sa jeunesse, parcourut sans passeport une bonne partie du Levant – de la Grèce à l’Égypte en passant par le Liban – engrangeant au gré des aléas d’une vie de petits boulots et de fortunes diverses la matière des livres qui le rendront célèbres dans les années 20 et 30, après un suicide raté et la rencontre décisive de Romain Rolland. S’ils n’eurent pas l’heur des Œuvres complètes sous leur titre original, c’est qu’on les y retrouve, en réalité, sous une forme remaniée, dans La Famille Perlmutter pour le malheureux Isaac, et dans Le Pêcheur d’éponges pour En Égypte. Ce dernier, surtout, qui met en scène le mystérieux Mikhaïl, l’Ami par excellence, prend a posteriori des allures programmatiques : l’amitié – masculine, inconditionnelle – n’est pas monnayable, même contre le « bureau de tabac » que propose au jeune Adrien Zograffi son oncle fortuné. Surtout, Mikhaïl s’y livre en quelques pages à une véritable théorie du vagabondage, qu’il oppose à l’aventure : « L’aventurier veut et peut faire fortune. Le vagabond ne le veut et ne le peut. (…) Aussi, quand le vagabond est doué d’une intelligence féconde, la philosophie qu’il tire de l’expérience de sa vie est toujours digne d’estime. »

Digne de notre estime, certes, la collection Voix d’en bas l’est aussi, infiniment, pour accueillir enfin celle de Panaït Istrati, bien plus à son aise en la rude et tendre compagnie des prolétariens qu’elle promeut depuis toujours que dans le murmure feutré des salons parisiens.

Yann Fastier