En 1954, Anna Maria Ortese fait partie d’une délégation féminine invitée au rituel voyage en URSS du parti communiste italien.
Le recueil se compose de six articles parus dans l’hebdomadaire L’Européo fin 1954. D’emblée, pour des raisons obscures, elle se retrouve mise à l’écart du groupe. Circonstance aggravante, par peur elle refuse de prendre l’avion et se retrouve seule dans le train pour Moscou, alors que toute la délégation a décollé. Dans le wagon, épuisée, esseulée, son statut d’étrangère saute aux yeux et personne n’ose la regarder. Dehors l’orage fait rage et zèbre la campagne d’une colère froide. La peur s’installe et grignote chaque pan du réel, mais de temps en temps, sans qu’un mot soit prononcé elle reçoit un sourire ou un peu d’aide et de sollicitude, et le monde se réinstalle sur ses rails, un moment. S’ensuivent des rencontres marquées d’amabilité et d’attendrissement, mais elle ne comprend pas la langue et ne peut communiquer que difficilement. Régulièrement, le wagon plongé dans l’obscurité de la nuit russe est traversé par une mélodie, quelqu’un chante doucement et le calme peut revenir, le sommeil même parfois. Réveillée elle observe les passagers, s’endort, rêve, panique, fait des rencontres et mélange réalités et fantasmes dans ce train qui ne semble jamais atteindre le jour.
Arrivée à Moscou, une sensation de malaise s’installe entre la délégation italienne et Anna-Maria, mais elle est recueillie par les femmes russes qui composent le comité d’accueil, suit le compte-rendu des visites effectuées, mais surtout, à l’intérieur de ce voyage quasi fantastique ce sont les rencontres tendres et intimes, toutes plus étranges les unes que les autres, où chaque personne est décrite avec cette attention pleine d’intérêt qui caractérise le regard d’Anna Maria Ortese, qui font émerger une Russie inconnue, toute personnelle. Sur le bord d’un monde oscillant entre rêve et cauchemar une vision nous est révélée, avec la douceur et l’intérêt d’Anna Maria Ortese pour les gens de peu, cet amour de l’autre et cette curiosité, ce regard si particulier empreint de réalisme magique.
Lionel Bussière