« Au bruit de sa fin prochaine, le livre a décidé de faire son testament ; c’est ce que vous tenez entre vos mains.
Ouvrant sa garde-robe, il épluche pensivement toutes les matières qu’il a portées, les nobles, les hétéroclites, qui se sont succédé pour donner forme à la pensée et plaisir aux lecteurs. Vient alors une hésitation : le numérique est-il une antimatière ? »
Un avertissement qui est une parfaite introduction à ce testament d’une folle érudition, où le livre se dévoile et délivre toute son histoire en tant qu’objet, de sa naissance à sa dématérialisation annoncée, dans un luxe de détails et d’anecdotes servis dans une langue châtiée et pleine d’ironie par le fin connaisseur du papier et de l’écrit qu’est Lucien X. Polastron, érudit possesseur d’une bibliothèque de plus de 15000 ouvrages, auteur de livres sur la calligraphie chinoise et arabe et calligraphe lui-même, qui acquit une certaine reconnaissance à la parution de Livres en feu : une histoire sans fin de la destruction des bibliothèques, en 2004.
La première partie du livre retrace par le menu tous les supports du livre, raconte son expansion et, en corollaire, l’essor de l’écrit, émaillant de références et d’anecdotes un voyage palpitant dans l’histoire de l’expansion des idées. On y apprendra, sur l’apparition des peaux tannées comme support de l’écrit que « c’est ainsi, et pas autrement, qu’il faut entendre les mots de l’évangéliste quand il postule que le verbe s’est fait chair », on y découvrira qu’à l’instar des personnages de Farenheit 451, « les premiers textes étaient en effet , acoustiques, lus à voix haute pour une personne ou une compagnie », et que « la mémorisation et le dire des Védas furent considérés pendant deux millénaires comme plus fiables que leur transcription », ou que, lors de la naissance de l’imprimerie, Gutenberg n’était pas né ; que longtemps, pour diminuer les frais de transport, les imprimeurs-éditeurs envoyaient aux libraires les pages dans des tonneaux, que ceux-ci faisaient relier au fur et à mesure de la demande, ou que l’acheteur faisait relier lui-même.
La deuxième partie se concentre sur le devenir du livre face à sa mort annoncée, la nouvelle relation à l’objet et la destinée de l’écriture face au numérique, où l’on sentira une pointe d’agacement titiller l’auteur impertinent, et avec lui on se demandera « Y’a t-il une pensée après le papier ? »
Lionel Bussière
