Combien la Grande Guerre a-t-elle fauché d’écrivains en devenir, dont l’œuvre eût peut-être changé la face de la littérature ?

 

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Qu’auraient donné un Alain-Fournier, un Jean de La Ville de Mirmont, un Jean-Marc Bernard, pour ne parler que des Français ? Parmi eux, Louis Chadourne (1890-1925) est un cas un peu à part, puisqu’il survécut quelques années à ses blessures et eut le temps de produire une œuvre qui, bien que succincte, le hissa d’emblée au rang des meilleurs écrivains de sa génération, à l’égal d’un Larbaud ou d’un Mac Orlan. Enseveli pendant plusieurs heures au cours d’une attaque, il ne s’en remettra jamais et mourra à 35 ans, miné par ce qu’on appellerait aujourd’hui un solide syndrome post-traumatique. Il laissait derrière lui une poignée de livres, parmi lesquels Terre de Chanaan (1921) fait figure de chef d’œuvre.

On y suivait l’équipée dérisoire d’une poignée de prospecteurs à travers la jungle amazonienne, sous la direction d’un aventurier charismatique dont le portrait fait le vrai sujet du roman. Ami d’enfance du narrateur, belle figure de chevalier d’industrie mâtiné de Don Quichotte, le Périgourdin Jérôme Carvès s’inspirait directement de Jean Galmot, le fameux « organisateur de la Guyane » dont Blaise Cendrars devait plus tard se faire le biographe dans Rhum. Chadourne, pour sa part, connaissait bien Galmot, personnage ambigu dont il fut brièvement le secrétaire le temps d’un voyage en Amérique latine qui devait rester l’affaire de sa courte vie et dont il fera l’année suivante un récit plus circonstancié dans Le Pot au noir, son dernier livre. Comme en témoigne son journal de l’époque1, Chadourne appréciait modérément l’homme d’affaires, dont il admirait toutefois la volonté, mue par une énergie infatigable. Carvès, comme Galmot, avance, toujours, sans cesse, sans un regard pour la casse éventuelle ou ce qui prétend le freiner, parce qu’« il faut crever une idée comme un cheval, puis en enfourcher une autre, sans pitié. C’est la vie ça, la course ! », comme le lui fait dire Chadourne à deux reprises. Galmot mourra à Cayenne en 1928, sans doute empoisonné par ses adversaires politiques. Carvès, plus chanceux, court toujours.

À noter que cette récente réédition reprend les illustrations de 1938, pour la collection « Le livre de demain » de Fayard. Si elles sont loin d’être sans mérite, on aurait toutefois préféré celles de Pierre Falké pour l’édition originale, tant elles s’accordaient au tempérament de Chadourne.

Yann Fastier

1West Indies : journal de bord octobre 1919 – janvier 1920 (Éditions des Cendres, 2022)