Parmi les grands noms de l’âge d’or de la science-fiction anglo-saxonne, celui de Jack Vance (1916-2013) n’entrera sans doute pas d’emblée dans le Top 10 de l’honnête homme.
Il faut dire que d’Asimov à Van Vogt, en passant par Arthur C. Clarke, Ray Bradbury ou Clifford D. Simak, la concurrence est rude chez les pionniers de l’espace et Vance eut peut-être le tort de ne pas la prendre trop au sérieux. Tort finalement très relatif au vu des rééditions qui se succèdent ces dernières années, témoins de la réévaluation d’un auteur longtemps minoré par la critique, probablement parce que doué d’humour – un humour dont nul ne témoigne mieux que ce cycle de la Terre mourante. Encore le mot « cycle » est-il à prendre avec des pincettes : à l’exception de Cugel saga, suite jusqu’alors inédite en français, les trois autres romans que composent cette intégrale – à savoir Un monde magique, Cugel l’Astucieux et Rhialto le merveilleux – avaient tous été publiés séparément et n’ont somme toute en commun qu’un même univers de fantasy, celui d’une terre en fin de droits, qu’éclaire à peine un soleil à l’agonie, parfois pris de hoquet et prêt à s’éteindre à chaque instant. Ce qui reste de l’humanité n’en est pas pour autant devenue plus sage et le sport favori de tout un chacun reste de gruger son prochain pour un maximum de profit. L’aventurier Cugel en sait quelque chose qui, pour avoir voulu cambrioler Iucounu, le fameux magicien rieur, se retrouve à devoir le servir et lui rapporter du bout du monde un précieux talisman. Sans scrupules excessifs dans un monde qui n’en a guère plus, il lui faudra toute son astuce pour affronter les mille-et-une chausse-trappes qui s’ouvrent sous ses pas et se venger du magicien. L’argument est mince et peut-être se lasserait-on de ces péripéties sans fin sans l’invention et la fantaisie constamment renouvelées dont Jack Vance fait preuve avec une virtuosité époustouflante. Car l’auteur du Cycle de Tschaï et de Lyonesse est avant tout connu pour son imagination débordante et sa facilité à trousser comme qui rigole un univers au grand complet, avec sa faune, sa flore, ses créatures bizarres et ses mœurs exotiques. Peuplée de magiciens folâtres et d’aventuriers prétentieux, d’aimables escrocs et de bestioles extravagantes, sa Terre mourante en est certainement encore aujourd’hui l’un des exemples les plus tordants. Et tordus.
Yann Fastier