Une épidémie inconnue décime la population mondiale.
Les femmes enceintes et les nouveau-nés en sont les principales victimes. Sage-femme dans un hôpital, elle-même touchée par la maladie mais désormais guérie, l’héroïne se retrouve seule dans un univers où tout est dangereux. Plus rien ne sera jamais comme avant. A la recherche d’eau, de nourriture et de biens essentiels, les survivants errent dans les rues désertes et les supermarchés à moitié pillés. Ces survivants sont presque exclusivement des hommes, en bandes, armés. Elle est une femme, une proie face à des prédateurs qu’aucune loi n’arrête plus, avides d’épancher leurs désirs sexuels avec l’une des dernières représentantes de la gent féminine. Elle se coupe les cheveux, bande sa poitrine et, sous ce travestissement fragile, décide de fuir vers le nord, à contre-courant de ceux qu’elle évite.
Encore une dystopie post-apocalyptique peuplée de zombis décérébrés et de héros luttant pour la sauvegarde de l’humanité, me direz-vous ? Vous n’aurez pas tort, à quelques détails près. Le livre de la sage-femme sans nom a été publié initialement en 2014, et n’est donc pas dans la lignée des nombreuses œuvres de ce genre parues depuis une dizaine d’année. Ajoutons que le personnage principal est une femme, ce qui reste rare dans ce type de récit. Et qu’elle est en péril non pas parce qu’elle est pourchassée par des hordes de morts-vivants, mais simplement par des hordes d’hommes, ce qui tient du pire des scénarios. Meg Elison ne force pas le trait. Elle extrapole, un peu. Tandis que tant de filles hâtent le pas dans les parkings souterrains ou se font cogner par leurs compagnons dans notre civilisation avancée, il en faut peu pour imaginer la terreur ressentie dans un patriarcat sans garde-fous.
Sorte de Mrs Robinson Crusoé, la sage-femme questionne notre besoin de compagnie pour sauvegarder sa santé mentale, et au cours de son périple vers un avenir des plus hypothétiques, elle éprouve le besoin de côtoyer quelques-uns de ses semblables. D’autres qu’elle ont ressenti la nécessité de former des groupes. Certains ont créé des communautés, sectaires et sévères ou alors décadentes, attestant de la nécessité pour l’humain de s’inventer des règles, des mythes, des dieux. Aucune ne trouve grâce à ses yeux, elle qui ne confie ni son nom, ni son genre. L’unique compagnon qui lui reste, c’est son journal intime, auquel elle livre ses craintes, ses angoisses, ses espoirs.
Et c’est là l’un des stratagèmes astucieux que l’autrice a expérimentés au long de son récit. Le journal de la sage-femme, découvert bien après sa disparition, lui permet de plonger dans la psyché de son héroïne tout en rapportant les événements qu’elle a subis, décrivant les rencontres qu’elle a souhaitées. D’autres formes servent d’étais à une narration rythmée. Des passages à la troisième personne succèdent à des bribes de témoignages de première main extirpés du passé, concernant des individus croisés sur sa route narrant leur histoire ou leurs souvenirs d’êtres disparus.
Le propos est rude, le roman brutal et triste. La force du Livre de la sage-femme sans nom réside dans sa capacité à demeurer à quelques encablures de notre réalité, nous forçant à l’introspection. Pessimiste Meg Elison ? A l’heure où les incels ou autres masculinistes semblent n’avoir jamais eu autant d’adeptes, on peut se demander si son roman, désespérant, effroyable n’aurait pas pour plus juste épithète visionnaire ou lucide. Ou réjouissant ? Après tout, comme dirait l’autre, vivement qu’on crève.
Marianne Peyronnet
