« La lecture est une maladie. Si les lecteurs disparaissent, s’ils ont de moins en moins d’enfants à qui refiler cette sale manie, il y a bien une raison.

 

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L’évolution a parlé. La lecture est inutile à la survie de l’espèce. La lecture est néfaste. Sept millions d’années d’histoire humaine et nous, du haut de nos quoi, quelques siècles de lecture, on déplore la disparition de cette sale manie ? Le livre, c’est un accident, rien de plus. Un passe-temps, un hobby pour hominidés qui n’ont plus à se soucier de leur survie. »

De la provoc, cette déclaration ? Peut-être. La citation illustre bien néanmoins la teneur de ce texte court, qui balade son lecteur entre stupéfaction et sourire. Mais qu’est-ce donc, déjà, que ce texte ? Une autobiographie ? Une fiction relatant les errances psychologiques d’un narrateur imaginaire ? Gageons qu’il s’agisse du portrait d’un écrivain en lecteur, dans une forme de mise en abîme réussie.

Thomas Florin confie ici son premier livre publié. Tel le principal protagoniste de cette œuvre hybride, il est journaliste à Rock & Folk et affirme avoir voué sa vie à écrire, ou à tenter de le faire, et surtout à lire, à empiler les livres, jusqu’à haïr leur encombrante présence. « Les livres ont tout fait pour que je les aime et, progressivement, ils ont réduit mon univers. Aujourd’hui, ils le saturent. Je tourne la tête, j’en suis cerné. » Pourquoi lire, en effet ? Et surtout pourquoi entasser ces objets de papier ? Quels souvenirs en a-t-on ? Pourquoi ce désir d’en conserver certains ? Les emporterons-nous dans la tombe ?

Entre désespoir de se laisser dévorer et affirmation fugace qu’on ne l’y reprendra plus, Thomas Florin vacille, et continue à entasser, dressant le profil type du lecteur compulsif, cet accro aux mots comme on l’est à une drogue dure. J’en connais. Incapables de résister à l’appel de l’encre, ils se jettent sur les boîtes à livres comme d’autres sur un shoot d’héroïne, cèdent à l’impulsion et ramènent chez eux ces précieux trésors et leurs punaises de lit. Florin avoue en posséder deux mille, pauvre pécheur, et dresse en fin d’ouvrage la liste des livres trouvés dans la rue, si l’on doutait de son aliénation.

Pire, il confesse avoir voué son existence à la création littéraire. Or, quand on se pose tant de questions sur les raisons de lire, quand on considère que « les livres ne sauvent pas, ils nous arrachent à la vie, accélèrent notre mort », décider d’écrire n’est-il pas le pire des paradoxes ? A quoi bon ces heures de solitude ? Dans quel but ? « La vérité c’est que tous les écrivains sont des losers. S’ils passent autant de temps chez eux, c’est qu’ils n’ont pas le choix » affirme l’auteur qui, après des années de souffrance, finit, ultime contradiction, comme aspiré dans une boucle sans fin, par faire publier Autodafé, ce texte court et dense, qui ne donne pas de réponse à des questions finalement essentielles.

Marianne Peyronnet