Les illustrateurs pour la jeunesse n’ont pas si souvent l’heur d’une monographie qu’il ne faille souligner tout l’intérêt d’une collection dédiée à des artistes au talent trop souvent minoré par les ignorants.
Dirigée par Quentin Blake en personne, la collection Les illustrateurs frappe juste et fort en ciblant d’emblée quatre des plus indiscutables génies de la bande, dont le seul nom fera saliver l’amateur.
À commencer par Tove Jansson, dont les insurpassables Moumines constituent à coup sûr l’un des sommets de la littérature universelle, duquel l’honnête homme et l’honnête femme, unis dans une même béatitude, ne sauraient se passer sous peine d’avoir misérablement raté une vie autrement mal employée à lire du Houellebecq. Aussi à l’aise dans le roman « vieillesse » et la bande dessinée, Tove Jansson, novatrice en bien des domaines, laisse une œuvre immense, chérie comme un trésor national en Finlande, son pays d’origine.
Moins connu, le Tchèque Miroslav Šašek, est l’auteur d’une série de guides touristiques pour enfants, nourris par sa formation d’architecte et d’un graphisme devenu délicieusement « vintage », dont la réédition par Casterman reste l’une des bonnes idées de l’année 2024, meilleure, en tout cas que la dissolution de l’Assemblée nationale.
Quant à Dick Bruna, on ne le présente plus, ou du moins Miffy, sa lapine à tout faire qu’on aurait le plus grand tort de croire sommaire. Biberonnée au constructivisme le plus austère, sous l’influence de Mondrian et du Bauhaus, l’œuvre de Dick Bruna est celle d’un graphiste exigeant, auteur de centaines de merveilleuses couvertures pour la maison d’édition familiale et pour qui le moins reste définitivement un plus. Un plus d’une efficience et d’une justesse encore inégalées, en dépit de tous les « Monsieur Madame » du monde, comme en témoignent les récentes rééditions de La Martinière et de MeMo. Les moins convaincus feront le voyage d’Utrecht, sa ville natale, où le dernier atelier de Dick Bruna se trouve reconstitué dans une salle du musée des Beaux-arts, donnant accès à ses secrets de fabrication – fruit d’un travail assidu et d’une rigueur jamais prise en défaut.
Monique Martin, enfin, sous le pseudonyme de Gabrielle Vincent, fut à coup sûr l’une des plus authentiques et talentueuses dessinatrices du XXe siècle, dont le trait d’une liberté totale et comme intemporel rivalise avec les plus grands maîtres italiens de la sanguine et du lavis. Mais au-delà de la seule virtuosité, son œuvre – en particulier les albums d’Ernest et Célestine – reste un monument de tendresse et de justesse dans l’expression des sentiments, d’une poésie toute populaire et attentive aux « petites gens » dont Monique Martin / Gabrielle Vincent, dans son vieux quartier d’Ixelles, préféra toujours la fréquentation à celle des galeries et des salons mondains. D’un ton légèrement plus lénifiant que les trois autres, ce beau livre n’en est pas moins l’occasion de reprendre la véritable mesure d’une œuvre défigurée par les malencontreuses adaptions animées d’Ernest et Célestine, que l’artiste avait toujours refusées de son vivant.
Reste à espérer que les ventes soient au rendez-vous et que la collection, comme tant d’autres en ces temps incertains, ne s’achève pas en queue de poisson. Allez, m’sieur Flammarion, encore un petit effort ! Et s’il faut vous donner des idées, j’irais jusqu’à dire que, personnellement, on ne cracherait pas sur un Mitsumasa Anno ou sur un William Steig…
Yann Fastier