Le renouveau de l’art sacré dans l’immédiat après-guerre reste une période assez peu documentée de l’histoire de l’art.
Sous l’impulsion des dominicains Pie Regamey et Marie-Alain Couturier, il fit pourtant souffler un vent d’air frais sur l’art religieux qui lui faisait bien besoin. Constatant que, pour la première fois de son histoire, l’Église du XIXe siècle avait tourné le dos aux beaux-arts au profit de mièvreries sulpiciennes platement stéréotypées, les bons pères entendaient bien y remédier. Autour de la revue L’Art sacré, ils suscitèrent un véritable mouvement, nourri par la commande en matière, surtout, d’architecture et d’arts appliqués (céramique, vitrail, tapisserie, mosaïque…)
Nul besoin d’être croyant : « Mieux vaut des génies sans la foi que des croyants sans talent » aimait à dire le Père Couturier. Car l’Esprit souffle où il veut et tout art, dès lors qu’il est habité, émane de forces spirituelles sur lesquelles il est vain de vouloir coller une étiquette.
À ce titre, la chapelle d’Assy, en Haute-Savoie, reste un exemple étonnant. Conçue à la fin des années 40 par l’architecte Maurice Novarina à la demande du chanoine Jean Devémy, elle devait contenir un nombre impressionnant d’œuvres signées par les plus grands noms de l’époque : mosaïque de façade par Fernand Léger, vitraux de Bazaine et de Rouault, bas-relief de Braque, baptistère de Chagall, autel de Matisse, tapisserie de Lurçat, vierge de Lipchitz…
Germaine Richier, quant à elle, reçut commande d’un Christ en croix qui devait défrayer la chronique. Car bien que croyante elle-même – « naïvement », de son propre aveu – Germaine Richier n’entendait guère faire de cadeaux aux tenants de l’Académie. Elle mit tout son cœur et tout son temps dans un travail qui la passionnait. Le bronze à peine coulé et patiné, la sculpture à peine fixée derrière le maître-autel, chacun s’accordait déjà à voir un chef-d’œuvre en ce Christ presque abstrait, joignant l’audace du geste sculptural à une simplicité toute romane.
Hélas ! une poignée d’intégristes ne l’entendaient pas de cette oreille : réunis à Angers à l’occasion d’une conférence du Père Devémy, ils firent un tel scandale que le raffut en parvint à l’évêque d’Annecy qui, prétendant n’avoir pas bien vu l’objet du litige au moment de l’inauguration, en ordonna lâchement le retrait, soutenu par tout ce que le Vatican du tristement célèbre Pie XII comptait d’éléments réactionnaires. Quand bien même la plupart ne l’avaient vu qu’en photo – mauvaise, de surcroît – le morceau de ferraille de la Richier constituait une offense, un blasphème, voire participait d’un vaste complot destiné à tourner l’Église en ridicule, avec l’assentiment de quelques idiots utiles cédant tout au soi-disant modernisme ! Dès lors, au grand dam de Germaine Richier, la sculpture devait connaître un long purgatoire de 18 années, déménageant au fil d’âpres négociations, le plus souvent à l’abri du regard des fidèles, pour ne retrouver sa place initiale qu’en 1969, dix ans après la mort de l’artiste.
L’histoire, telle qu’exposée dans cet excellent petit ouvrage, pourrait sembler anecdotique : elle est exemplaire, au contraire, de la « guerre culturelle » que menait déjà la droite réactionnaire dans une Église pré-Vatican II que n’avait pas encore infecté le virus du gauchisme. Cette même guerre, exactement, que l’extrême-droite mène aujourd’hui sur tous les fronts et qu’elle pourrait bien gagner si nous la laissons faire… La laisserons-nous faire ?
Yann Fastier
