Quelques verres de vin blanc saupoudré d’un soupçon de cynisme :
il n’en faudra pas plus à Sabine et Chanti pour monter Pervers Polyphone, structure associative destinée à promouvoir le théâtre dit « alternatif » dans le petit coin de Suisse où elles sont encore étudiantes. Dénuées du moindre idéalisme, la tête froide et plutôt bien faite, les deux filles ne ménagent pas la poudre aux yeux et, dès lors que « tout est rhétorique » et que « la rhétorique est tout », Pervers Polyphone ne tarde pas à conquérir un milieu qui ne demande au fond qu’à se laisser éblouir par de faux-semblants. Devenues expertes en levée de fonds et sachant trouver l’argent là où il est, les productrices ne se font guère scrupule d’aider quelques « agriculteurs » de leurs amis à blanchir leur trop-plein d’argent liquide : après tout, les multinationales n’en font-elles pas autant lorsqu’elles investissent massivement dans la culture ? La réussite est bientôt complète, l’argent coule à flot et, nouveau roi Midas, tout ce que touche Pervers Polyphone semble se transformer en or quand survient l’inévitable grain de sable, suivi de la non moins prévisible patrouille…
On n’en dira pas plus, sinon que l’auteur signe là une aimable satire d’un milieu qu’il connaît bien puisqu’il occupe lui-même toutes sortes de postes dans la petite industrie du divertissement contre-culturel qu’il décrit avec entrain. Sans être hilarante, la chose est plutôt bien vue, la lecture en est plaisante et, à tout le moins, instructive : on saura désormais quoi faire de tous ces biftons qui débordent de la table de nuit.
Pour finir, sans vouloir faire une chasse impitoyable au point médian et sans savoir s’il s’agit là d’une initiative des traduc (trice et teur), il est toujours amusant de voir un roman rédigé dans une langue résolument orale, élisions comprises, avoir recours à l’écriture inclusive, imprononçable par définition. Mais bon, tout est rhétorique…
Yann Fastier
