Au palmarès des siècles pourris, le XIVe rivalise assez bien avec le nôtre.
C’est peut-être pourquoi, après les thèmes contemporains d’Ironopolis, son premier roman, Glen James Brown a choisi d’y situer le second. Dans les deux cas s’y livre une certaine vision des rapports sociaux dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’est pas apaisée.
Car ce n’est pas la paix que le vieux ménestrel Mother Naked vient apporter à cette noble assemblée réunie pour la Saint Godric en la bonne paroisse de Durham. Il se fait fort, plutôt, de lui rappeler une histoire qui, bien des années auparavant, devait mener à la ruine le petit village de Segerston. Cette histoire, on le devine assez vite, il en fut l’un des protagonistes et le témoin privilégié, dernier né d’une famille de serfs réduits à la misère la plus extrême par la jalousie des uns et l’iniquité des autres. Près de quarante ans plus tard, ayant perdu son compagnon et mentor, il revient régler ses comptes, au penny près.
Ce pourrait être le seul en scène d’un conteur émérite, sachant tenir son auditoire en haleine par ses digressions et ses saillies, tour à tour sarcastique et pathétique, distillant son récit à petites doses d’un ton faussement détaché, renchérissant sur les réactions d’un public résolument tenu hors-champ. C’est en tout cas une belle prouesse de la part de l’auteur qui parvient, sur près de 300 pages, à ne pas relâcher une seule seconde la tension croissante de son monologue, jusqu’au dénouement digne d’un drame élisabéthain. Mais, plus encore qu’à Marlowe, on pense à la récente tendance du cinéma social anglais, illustrée par des films comme Harvest d’Athina Rachel Tsangari ou Bird d’Andrea Arnold, où les antagonismes sociaux trouvent une échappée dans l’irruption d’un certain fantastique – ici, un spectre shakespearien – révélateur d’une aliénation que le cœur connaît mais que « les yeux ne veulent point voir ».
Yann Fastier
